Pendant mes études je souffrais d’anorexie boulimie. Les troubles se sont déclarés l’année de mes 17 ans, c’est un régime qui m’a entraîné dans la spirale, régime destiné à améliorer mes performances sportives. Il y a donc dès le départ un souci de perfectionnisme accru mais les troubles alimentaires sont des maladies multifactorielles. Ce sont des maladies dites « bio psycho sociale » avec souvent la présence d’éléments traumatiques.
Avec mon petit ami de l’époque nous avons décidé à la fin de nos études d’emménager ensemble. Nous nous sommes éloignés de ma ville natale et de mes proches par la même occasion.
Cela a été une année de descente aux enfers : je ne trouvais pas de travail, il partait travailler je vidais les placards qu’il remplissait et au bout d’un an j’ai décidé de mettre fin à cette relation. C’était peut-être une stratégie de survie car la situation n’était pas tenable et je m’enfonçais dans la dépression. Je suis retournée vivre chez mes parents et quelques mois après j’ai été hospitalisée sous contrainte suite à une hospitalisation « ratée ». Je suis restée un an à l’hôpital dont je suis ressortie « cassée », en apparence guérie.
Ce que je retiens de cette période c’est que le travail (je parle des études puis les petits boulots) me maintenait à flot malgré les troubles et les nombreuses absences en raison de ma pathologie. J’ai fait de l’aide aux devoirs, du babysitting, je me suis occupé d’une personne âgée ayant développé un Alzheimer, donné cours de langues… ça m’a aidée car j’ai pris plaisir dans le lien aux autres, la pédagogie, le fait de transmettre quelque chose.
En 2008 j’ai repris des études, cette fois en alternance. Cela n’a pas été une expérience concluante en entreprise. J’ai tout de même décroché mon second Master dans le domaine du marketing.
J’ai ensuite travaillé dans des entreprises de télécommunications mais je n’étais toujours pas épanouie au travail. La dépression était très présente et pour dire les choses de manière « trash » je vomissais entre midi et deux dans les toilettes de l’entreprise.
Pas épanouie c’est un euphémisme pour dire que j’ai connu la souffrance au travail et notamment le bore out. Certes les symptômes étaient très présents mais je suis sûre que si j’avais été plus occupée et si je m’étais sentie utile il m’aurait été plus facile de me détacher des idées obsessionnelles au moins le temps de mes heures au travail.
En 2010 je fais la rencontre de Thomas M qui est missionné par mon entreprise pour me soutenir. J’avais « atterri » à la mission handicap pour assister la responsable et c’est elle qui m’a proposé ce suivi car mon contrat n’allait pas se prolonger. Avec Thomas nous avons retravaillé mon cv et il m’a donné des clefs de confiance en moi. Il a fait un peu mon psy même si son rôle était de me coacher professionnellement.
A la fin de mon contrat j’ai été une nouvelle fois hospitalisée en clinique pour mes tca et c’est au cours de cette hospitalisation que je passe un entretien et décroche mon premier cdi.
Je vais vous détailler un peu plus cette expérience au sein d’une SSII informatique dont j’ai été la permanente du comité d’entreprise.
Au début je rasais les murs comme m’ont dit mes collègues devenues des amies plus tard.
Mon N+1 était lui-même porteur de handicap et le secrétaire une personne particulièrement humaine et bienveillante. Sensibles à mes difficultés mes managers ont fait appel à Thomas dont je leur avais parlé et celui-ci m’a aidée à prendre mes marques, m’approprier le poste et nous avons étudié ensemble quelle pouvait être ma valeur ajoutée.
C’est la première fois où j’ai pu faire preuve de créativité. J’ai mis en place un journal du CE, développé des nouveaux services pour améliorer le bien-être des collaborateurs, monté des partenariats, participé à la com interne. Je passais chaque semaine dans les bureaux du siège (sur 2 sites) si bien qu’à la soirée de l’entreprise j’étais identifiée comme la fille du CE plutôt appréciée.
En deux ans et demi je me suis épanouie sur le poste et lorsque j’ai annoncé à mes managers que je voulais démissionner pour créer une structure et écrire un livre ce sont eux qui m’ont proposé une rupture conventionnelle et fait appel une dernière fois à Thomas pour « préparer l’après » (je les cite).
J’ai pu donner vie à mes projets et mettre un pied dans le monde de la santé mentale où je me suis professionnalisée par la suite.
Ce qui avait changé entre ce poste là et le précédent selon moi ce sont les modalités de management.
J’y ai trouvé :
Beaucoup de bienveillance et de la patience
Des personnes soutenantes, encourageantes, motivantes
Et surtout des relations de confiance, du lien, le respect de ma personne et de mes spécificités
J’ai rencontré aussi des collègues qui ont osé « venir vers moi »
Je pourrai vous parler de leur première invitation à déjeuner où je n’avais pas voulu toucher à une frite. Avec le recul nous en avons souri.
De mes expériences et des retours des personnes que j’accompagne aujourd’hui je peux dire que le travail est un facteur de rétablissement et d’entretien de la bonne santé mentale comme il peut être un facteur d’aggravation des troubles si la personne ne se sent pas entendue, pas comprise, voire rejetée en raison de ses troubles.
Les personnes souffrant de troubles psychiques nécessitent souvent un accompagnement soutenu, individualisé mais le retour et le maintien dans l’emploi sont parfaitement possible. Je parle d’emploi dans le milieu ordinaire et je rappelle que travailler en milieu ordinaire c’est le souhait des personnes concernées.
Selon l’approche rétablissement « nous sommes prêts à travailler dès que l’on souhaite travailler » et on apprend également par l’expérience. Il ne faut pas de longues démarches d’évaluation pour voir si le poste correspond à la personne ou la personne au poste. C’est dans l’action qu’on voit, qu’on évalue, qu’on ajuste.
Le travail m’a aidée à me reconstruire en termes d’identité. C’est en expérimentant des postes qui ne me convenaient pas tout à fait même après mon expérience associative que j’ai pu m’orienter de moi-même vers quelque chose qui me correspond davantage. De chaque expérience j’ai pu tirer du positif et mieux cerner mes besoins/attentes.
Les personnes concernées sont souvent stigmatisées parce qu’on connaît mal les troubles et je trouve cela important de sensibiliser, arrêter peut-être un jour d’utiliser le terme de handicap psychique car il s’agit surtout de personnes pleines de potentiels et ayant de nombreuses ressources sur lesquelles on peut s’appuyer pour que ça fonctionne en entreprise. En Australie où le terme de handicap psychique n’existe pas ce sont des personnes avec une pensée différente.
Je crois qu’il ne faut pas passer sous silence la question des soins en parallèle. Même s’il y a le secret médical cela n’empêche pas de poser la question de comment ça se passe en dehors du travail voir de faire le lien avec les équipes cliniques la personne si celle-ci est d’accord. Je pataugeais du côté des soins et d’ailleurs c’est au cours de ma reconstruction professionnelle que j’ai fait la connaissance d’un médecin généraliste qui a fait un boulot formidable avec moi et que j’ai eu le désir de franchir la porte d’un psychologue. Je me suis engagée dans une démarche de soins appropriés et non institutionnelle. J’ai aussi repris le sport en salle et je me suis tournée vers l’optimisme, la méditation de pleine conscience, le développement personnel. Autant d’ingrédients qui ont contribué à ma guérison, l’amour en prime. L’entreprise a des contraintes de temps et de budget mais en y mettant les moyens et en humanisant les relations c’est possible.
Pour finir…
Non l’anorexie ce n’est pas forcément être maigre et ma pathologie passait de visible à invisible au gré de mes fluctuations de poids. Je tiens à faire tomber cette idée reçue et il y en a beaucoup concernant les tca.
J’ai commencé à m’en sortir quand je suis devenue actrice de mon rétablissement, de mes soins, de mes choix de vie.
J’ai envie d’insister sur l’importance des valeurs et du sens. Je crois qu’il est possible de s’épanouir sur n’importe quel poste à partir du moment où l’on se sent en accord avec la culture d’entreprise et que l’on perçoit le sens et l’utilité de son travail. Dans l’approche rétablissement on insiste beaucoup sur la reprise d’activité qu’elle soit bénévole ou salariée d’ailleurs parce que ce qui aide beaucoup à reprendre le dessus, à s’empowerer pour parler avec le jargon de la santé mentale (empowerment = reprise de pouvoir et la capacité d’agir) c’est le sentiment d’utilité.
Ce que veulent les personnes concernées c’est être considérées comme des personnes pas comme une maladie.
Enfin j’ai envie de dire que j’ai rencontré l’ACT au cours de ma trajectoire de patiente et aujourd’hui je me forme à cet outil puissant. J’ai mis en pratique les principes de l’ACT : j’ai compris que je ne pouvais pas changer ce qui ne peut l’être (acceptation) mais que je peux agir sur ce qui le peut et je me suis engagée pour me rapprocher toujours plus de mes valeurs. C’est ainsi que je résume mon parcours et mon chemin de rétablissement.
Je rappellerai les principes de la pair-aidance il s’agit de :
- partager son vécu ;
- redonner de l’espoir ;
- soutenir et responsabiliser ;
- participer à réduire la stigmatisation
Le pair-aidant dispose du recul nécessaire pour pouvoir transmettre de son expérience, accompagner, soutenir, mais aussi assurer un lien avec tous les acteurs de la prise en charge et partenaires.
Ce témoignage que j’ai pu livrer auprès de managers de la SNCF s’inscrit dans le cadre de mes missions et j’espère qu’il contribuera à réduire la stigmatisation et favoriser l’accueil et l’écoute des personnes concernées dans le monde de l’entreprise.
Sabrina Palumbo-Gassner
Coach, médiatrice de santé paire, auteure
Marraine des associations Solidarité Anorexie Boulimie
Co-créatrice de l’application Koala Family
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